CHAPITRE III

22 décembre 1987

Ainsi, c’était une fille !

Si l’observatrice avait possédé des lèvres, elle en eût souri de satisfaction. Dépourvue d’enveloppe charnelle, elle sentait pourtant d’une certaine manière – toute morale – la joie l’envahir, le soulagement aussi, surtout. C’était son enfant, et c’était une fille. Pas un garçon bruyant, indiscipliné, qui courrait les bars et souillerait ses draps dans son sommeil. Non : une gentille petite fille qu’elle pourrait coiffer, habiller, éduquer… Une petite fille qui ne serait que beauté et modestie – comme aujourd’hui.

Aujourd’hui, elle n’était encore qu’un simple fœtus, bien sûr, mais elle apparaissait néanmoins sous les traits d’une grande adolescente aux cheveux blonds, sagement réunis en chignon sur sa nuque. Sa vêture était indéniablement d’un autre siècle : jupe d’épais tissu brun, descendant jusqu’aux chevilles, dévoilant à chaque pas la pointe d’une bottine à boutons ; veste assortie, sur un corsage beige au col fermé par un ruban de soie ; discret chapeau muni d’une voilette blanche. L’observatrice ne trouvait pas cela incohérent : son enfant était, tout simplement, à la fois femme et embryon, sans qu’il fût besoin de lui assigner un âge.

Autour de la jeune fille, malgré une brume omniprésente qui occultait presque totalement l’astre du jour, on distinguait la vallée : une rivière paisible qui serpentait non loin de la route, des flancs à la douce inclinaison, tapissés de verts pâturages, et çà et là, un verger où poussaient des fruits qu’on devinait mûrs, gorgés de jus…

Le sol sur lequel claquaient avec régularité les pieds bottés avait la couleur terreuse et l’irrégularité des sentiers de campagne, où s’impriment après la pluie les sabots du bétail, où l’eau demeure en flaques éparses qu’il faut contourner ou enjamber au risque de glisser. Avait-il plu ? Un peu, sans doute. Le chemin gardait l’empreinte superficielle des pas de l’enfant, puis la perdait en quelques instants, comme par un coup de gomme lacérant une esquisse au crayon noir. Où allait-elle ainsi ? L’observatrice l’ignorait, bien qu’il lui semblât confusément qu’elle eût dû le savoir, qu’elle l’avait su autrefois et ne parvenait plus à s’en souvenir.

Loin, très loin derrière la jeune fille, presque invisible au travers du brouillard, se dressait la silhouette massive d’un bâtiment à la forme oblongue, que dominait une haute tour effilée. Une tour ? Non, un clocher plutôt. D’ailleurs, ne distinguait-on pas l’écho ténu d’un carillon ? D’un angélus ? Oui, c’était une église, celle où les paroissiens de la vallée venaient de faire leurs dévotions. Et où pouvait bien se rendre une enfant sage après la messe, sinon chez elle, dans la chaleur du foyer familial, auprès de parents aimés et respectés ?

Mais en ce cas, pourquoi prendre cette direction ? Pourquoi commencer l’ascension de l’un des flancs herbus, comme pour quitter ce havre de sérénité ? Décidément sujette à des absences alarmantes, la mère de la jeune fille ne se rappelait plus à quel endroit elle demeurait, mais savait que rien n’eût pu la contraindre à s’établir hors du val qui l’avait vue naître. Des mots cisaillants la frappèrent de plein fouet : école buissonnière, fugue, désertion, fuite, trahison, fornication… Elle voulut crier, crier à la chair de sa chair de s’en retourner, de ne pas faire un pas de plus sur la route interdite, mais elle se rendit compte qu’elle en était incapable. Reviens, songea-t-elle, soudain prise d’angoisse. Reviens, je t’en conjure, tu vas te perdre… Et c’était bien sûr à l’âme qu’elle faisait allusion, pas au corps. Le corps n’était rien, qu’une source de douleur et de péché. Reviens, c’est Satan qui t’attend là-bas…

Mais sa fille ne l’entendait pas, et si elle l’avait entendue, peut-être ne l’aurait-elle pas écoutée. La jeunesse est si insouciante, si prompte à dédaigner les bons conseils au profit de ce qu’elle prend pour la liberté. Sa fille n’imaginait même pas qu’elle pût être observée. D’un pas égal, elle marchait, marchait, légèrement courbée en avant maintenant, pour compenser la pente croissante du chemin.

Et le sommet approchait, baigné par l’ombre menaçante de la forêt qui entourait la vallée. L’observatrice remarqua pour la première fois que l’enfant tenait un panier à la main, un vieux panier d’osier comme en fabriquaient les anciens, au village. Qu’y avait-il à l’intérieur, sous la serviette à carreaux bleus ?

Une galette et un petit pot de beurre…

Le chemin se rétrécit à l’instant même où sa courbure s’inversait pour plonger entre les arbres. Alors il apparut, lui, le loup, le mâle, le démon. Il était grand, naturellement, et beau aussi, on ne pouvait nier qu’il fût beau. Mais son sourire n’était qu’un rictus, ses regards des œillades indécentes. Et cette tenue ! Qu’attendre, sinon le pire, d’un homme qui exhibait nu un torse couvert de poils roux ? Du même roux que ses cheveux longs. Du même roux que le pelage du renard, symbole de ruse, de malice. Qu’attendre d’un individu sans pudeur qui portait un pantalon assez étroit pour révéler le dessin de ses parties intimes ?

Pourtant, la jeune fille ne sembla pas remarquer l’énorme bosse qui marquait l’entrejambe de l’inconnu : ouvrant les bras, comme si elle le connaissait, comme si elle n’avait fait tout ce chemin que pour le retrouver, elle courut à sa rencontre. Le panier lui échappa, roula à terre et se vida de son contenu : une Bible et un chapelet de nacre, qui disparurent bientôt, avalés par le sous-bois.

Non ! Tu es folle ! Tu ne dois pas faire ça ! Tu ne dois pas !

Horrifiée, la mère constata que l’homme s’était mis à courir lui aussi, prêt à refermer ses bras d’animal sur sa proie innocente. En un éclair, elle crut même voir le bouton du pantalon sauter, la fermeture à glissière entamer une lente reptation vers le bas.

Puis, très vite, tout fut terminé. Surgi de nulle part, en réponse à ses prières, un rideau de lumière éclatante s’abattit en travers du chemin, séparant les deux amants coupables. Ce qu’il advint de l’homme, l’observatrice ne le sut pas, car son regard ne pouvait pénétrer la force radieuse envoyée par les cieux. Mais sa fille, la désobéissante, l’ingrate, elle la vit se jeter à corps perdu contre l’obstacle, tenter de le traverser, le frapper encore et encore de ses poings serrés. En vain. La lumière absorbait les coups sans les rendre, à la manière d’une masse de coton. L’enfant cria, hurla, mais rien n’y fit. Elle demeurerait chaste, pure.

Dépitée, elle renonça enfin à ses efforts inutiles et se détourna, reprit le chemin de la vallée. Lorsqu’elle arriva auprès du panier renversé, elle le ramassa avec délicatesse, posa à nouveau la serviette sur le livre et le rosaire qui s’y étaient par miracle transportés. Elle était triste, très triste, mais elle était sauve, et cela seul comptait.

Merci, mon Dieu, merci, mon Dieu, merci, mon Dieu,

*

— Merci, mon Dieu ! Merci, mon Dieu ! (Diane.) Merci, mon Dieu ! (Diane !) Merci, mon…

— Allons, réveillez-vous ! insista Marilith, secouant doucement la jeune femme qui parlait, criait presque, dans son sommeil. Vous rêvez…

La succube se trouvait dans sa propre chambre – jadis celle des parents Chaffaux –, encore endormie elle aussi, lorsqu’elle avait entendu les cris perçants. Des cris de terreur, à n’en pas douter, mais qui n’avaient cependant rien d’inarticulé. Prenant à peine le temps de passer un peignoir, elle s’était précipitée vers la pièce voisine où reposait celle qu’elle surnommait « la reproductrice », comme s’il se fût agi d’une chienne ou d’une jument. Fortement échaudée par son expérience avec Anne Doleau, Marilith ne tenait pas à ce qu’on lui refasse le coup du suicide. Malgré sa foi quasi maladive, Diane pouvait fort bien avoir une crise de démence qui la pousserait elle aussi à sauter par une fenêtre – mais plus par la verrière du second étage, que Julien Nomade avait sans remords fait murer.

Quand la fausse infirmière était arrivée auprès de sa patiente forcée, cependant, elle avait poussé un soupir de soulagement. Ce n’était qu’un cauchemar, un cauchemar qui avait d’ailleurs dû se conclure avec bonheur, puisque la rêveuse se confondait en actions de grâce ferventes.

— Mais réveillez-vous donc !

Plusieurs secondes encore furent nécessaires pour extraire la dormeuse de la transe onirique dans laquelle elle semblait engloutie. Lorsque cessa enfin sa répétitive prière et que ses paupières s’ouvrirent à demi, battirent pour retrouver le réel, une légère surprise se fit jour dans ses yeux.

— Que se passe-t-il ? s’enquit-elle sans hostilité. Quelle heure est-il ?

— Il est encore très tôt, la rassura Marilith. Vous allez pouvoir vous rendormir, si vous le désirez, mais j’ai préféré vous réveiller car vous étiez visiblement en train de faire un cauchemar.

— Un cauchemar ? s’étonna Diane. Qu’est-ce qui vous fait dire ça ?

— Vous étiez très agitée, et vous poussiez des cris. Vous ne vous souvenez pas ?

La jeune femme secoua lentement la tête, ferma à nouveau les paupières un instant, puis les rouvrit. Un petit sourire étira ses lèvres.

— Je ne me suis jamais rappelé mes rêves, déclara-t-elle à voix basse. Je suppose que j’en fais, comme tout le monde, mais ils ne me laissent aucun souvenir. Sinon des sensations, parfois. Et justement… ce matin, je me sens bien, reposée, détendue… Il ne pouvait pas s’agir d’un cauchemar. Vous êtes sûre que je criais ?

— Comme si vous aviez dix lions aux trousses, confirma Marilith, fronçant le sourcil. Mais si vous vous sentez bien, c’est le principal. Je vais vous laisser vous rendormir : il fait à peine jour.

— Non, je crois que je vais me lever. Comme je vous le disais, je suis tout à fait reposée…

La succube plongea intensément son regard dans les yeux céruléens de sa compagne.

— Allons, susurra-t-elle. Regardez-moi bien. Je suis sûre que vous êtes encore fatiguée. Vos paupières sont lourdes. Vous vous endormez…

— Non, répéta Diane. Je vous assure. Je…

— Vos yeux se ferment. Vous vous endormez. Vous entendez encore ma voix, mais vous vous endormez.

— Je…

La jeune femme se tut, incapable de résister à la force de persuasion qui s’exerçait sur elle, aux mots lents et réguliers qui la berçaient. Comme on le lui avait prédit, ses paupières retombèrent lentement, et toute volonté la quitta.

— Vous m’entendez, Diane ? interrogea Marilith, monocorde.

— Oui, je vous entends.

La succube eut un sourire satisfait : bien que l’hypnotisme ne fût pas sa spécialité, hormis à des fins de séduction, elle avait eu raison de croire son sujet en de bonnes conditions et de tenter sa chance. Peut-être se donnait-elle beaucoup de mal pour rien – cette histoire de cauchemar étant finalement plutôt banale –, mais son instinct lui soufflait qu’il valait mieux en avoir le cœur net : si jamais la chose revêtait une quelconque importance, Lucifer ne lui pardonnerait jamais de l’avoir négligée ; depuis la mort de la première reproductrice, elle n’avait plus droit à l’erreur.

— Tout à l’heure, vous avez fait un rêve, reprit-elle. C’est exact ?

— Oui.

— Je veux que vous reviviez ce rêve, du début jusqu’à la fin, et que vous me le racontiez…

Pendant quelques instants, Diane demeura silencieuse, puis son beau visage se détendit tout à fait et elle commença à parler.

*

Marilith repassa brièvement dans sa chambre pour s’habiller avant de descendre au rez-de-chaussée. Elle ne s’était pas trompée : pour les avoir entendus à nouveau, de plus près, elle savait désormais que les hurlements de Diane avaient bien été provoqués par la peur. Lorsque la narration du songe s’était enfin achevée, par les mêmes remerciements répétés que la première fois, la succube avait suggéré à son sujet de se rendormir paisiblement : il lui fallait un peu de temps pour communiquer en privé ces renseignements à qui de droit.

Au bas de l’escalier, elle croisa Aline et Claire, les soubrettes engagées le mois précédent par Nomade – en même temps qu’un jardinier –, et leur accorda à toutes deux le baiser qu’elles ne manquèrent pas de quémander. Elle dut ensuite les chasser avec fermeté vers les étages, non sans leur promettre de les rejoindre un peu plus tard, pour qu’elles consentent à s’acquitter de leur travail. Elles la quittèrent à regret, le regard empli d’une langoureuse adoration.

Dès leur arrivée au manoir, Marilith s’était fait un devoir, et un plaisir, de séduire les trois domestiques – tâche qui lui avait demandé moins d’une heure. Depuis, ils lui étaient dévoués corps et âme, auraient abattu père et mère en échange des étreintes extatiques qu’elle leur accordait presque chaque jour, ensemble ou séparément. Les toujours prudes Américains avaient depuis peu inventé un terme pour désigner les individus menant une vie sexuelle frénétique : sexaholics. Sans doute celui-ci n’avait-il jamais pu s’employer avec autant d’à-propos. Tels des héroïnomanes au dernier degré, les bonnes et le jardinier avaient besoin d’une dose régulière de jouissance que seule la succube pouvait leur apporter.

Les humains sont décidément bien facile à manipuler, songea celle-ci en allant s’enfermer dans le bureau du défunt Etienne Chaffaux. Méticuleusement rangée, la pièce conservait la même atmosphère aseptisée que du vivant de son propriétaire. Rien n’y avait été changé depuis le drame, sinon le tapis qu’on n’avait jamais pu débarrasser des taches de sang y ayant giclé lorsque le politicien s’était fait sauter la cervelle. Ici, c’était Diane elle-même qui faisait le ménage, deux fois par semaine, sans doute en signe de pénitence.

Marilith s’installa dans le confortable fauteuil de cuir noir et décrocha le téléphone. Compte tenu de l’heure matinale, elle appela tout d’abord le nouveau domicile parisien de Nomade, où elle tomba sur un répondeur automatique signalant que le maître des lieux ne rentrerait pas avant le soir. Elle le joignit quelques minutes plus tard à son bureau, après avoir franchi successivement les barrages d’une standardiste indolente et d’une secrétaire revêche.

— Julien ? Je ne vous dérange pas ?

— Vous ne me dérangez jamais, ma chère, répondit l’industriel d’une voix suave. S’agit-il d’un simple appel de courtoisie ou bien s’est-il passé quelque chose ?

— J’avoue que je n’en sais trop rien. Ça n’a peut-être aucune importance, mais je préfère tout de même vous mettre au courant. Cette nuit, j’ai entendu Diane crier dans son sommeil. Ensuite, je l’ai hypnotisée pour connaître le contenu de son rêve.

— Excellent réflexe, apprécia Nomade. Je savais que cela ne pouvait plus tarder. L’enfant commence à prendre du poil de la bête… Alors, de quoi rêve-t-elle donc, cette chère Diane ?

— De votre enfant, justement. Elle dit qu’il s’agit d’une fille, et ça a l’air de lui faire plaisir.

— Une fille ? Eh bien ! Voilà une chose que je n’avais pas prévue ! (Il y eut un silence prolongé, à l’autre bout du fil, puis l’industriel poussa un soupir et reprit :) Ce sera peut-être aussi bien, après tout, même si c’est contraire à tous les schémas établis. Quoi d’autre ?

— Le plus important ! D’après ce que j’ai pu comprendre, elle a vu un autre enfant, un garçon, cette fois. Un garçon dont sa fille serait amoureuse mais qu’elle-même semble considérer comme le Diable, passez-moi l’expression…

Encouragée par son maître, Marilith narra le songe de Diane dans les moindres détails, terminant par l’embarrassante victoire finale de la religion chrétienne.

— Ne vous en faites pas pour ça, la rassura Nomade. C’est juste sa manière à elle de transcrire le fait qu’il n’y a pas eu fornication. Grenouille de bénitier jusqu’au bout ! Ce n’est pas ça qui m’inquiète, c’est cette histoire de deuxième gamin…

— Vous pensez qu’il existe ?

— Si le rêve n’est que le fruit de l’inconscient de Diane, non. Mais s’il s’agit, comme je le pense, d’une émanation de notre enfant, c’est une certitude.

— Pardonnez-moi, continua Marilith, perplexe, mais comment un embryon pourrait-il connaître l’existence d’un autre embryon ?

— Combien y a-t-il actuellement de succubes en activité sur Terre ? interrogea l’industriel sans répondre.

— Je suis la seule, pourquoi ?

— Comment le savez-vous ?

Son interlocutrice hésita.

— Je le sens, dit-elle enfin. Si une autre était appelée,

j’en serais avertie.

— Tout comme moi, je le serais automatiquement de la présence d’un quelconque archidiable. C’est une question de vibrations et d’énergie. Sur ce plan qui n’est pas le nôtre, nous ressentons de manière naturelle la proximité de ceux qui nous sont semblables. Cela répond-t-il à votre question ?

— Je le crois, oui. Mais si vous avez raison, de qui cet enfant peut-il être le fils ?

— Ça, je n’en sais rien encore. Mais je le saurai, croyez-moi. Et de toute façon, j’ai déjà ma petite idée sur la question : il n’y en a jamais eu qu’un d’assez fourbe pour m’attaquer sur mon propre terrain. C’est un peu ma faute, d’ailleurs.

— Comment cela ?

— Ce sont de vieilles histoires, ma chère. Je vous les conterai un jour, si vous y tenez, mais pour l’heure elles sont hors de propos. Disons juste que je suis sans doute en train de subir l’attaque d’un autre prétendant à mon trône. Et si c’est celui auquel je pense, il est autrement habile que Lucifuge. C’est peut-être le plus habile de tous.

— Puis-je vous demander ce que vous comptez faire ? s’enquit Marilith avec déférence, un peu inquiète malgré l’apparente décontraction de son maître.

— Dans un premier temps, je vais tenter de repérer l’enfant. Ça ne devrait pas être bien difficile. Ensuite, je supprimerai la mère… C’est une méthode simple, mais efficace. En attendant, continuez de surveiller les rêves de Diane et tenez-moi au courant. Je viendrai vous rendre une petite visite dans quelques jours. Permettez-moi encore de vous féliciter, ma chère : il se peut que votre initiative nous évite de gros ennuis.

— Merci, Julien, sourit Marilith, ravie. À bientôt…

Elle raccrocha, consciente d’avoir effacé le souvenir de sa précédente bévue et retrouvé la confiance de Lucifer. Ce fut de fort bonne humeur qu’elle quitta la pièce pour aller retrouver Aline et Claire. Les chères petites ne seraient pas déçues du voyage : heureuse, elle avait coutume de se surpasser. Aujourd’hui, elle se demandait même si le sexe à lui seul pourrait l’assouvir : peut-être irait-elle un peu plus tard se promener dans la campagne, y traquer une proie solitaire qu’elle pourrait étriper à sa guise. Pour des raisons de discrétion, Nomade lui avait interdit de s’attaquer aux paysans des environs – comme elle l’avait fait le premier soir –, mais elle disposait d’une voiture : il lui suffirait de parcourir une petite vingtaine de kilomètres…

Enivrée par cette perspective, elle commença à déboutonner sa blouse avant même d’avoir rejoint la pièce où œuvraient les deux soubrettes.

*

Diane s’éveilla à nouveau au milieu de la matinée, aussi calme et détendue que la première fois. Même la veille, après que le prêtre lui avait donné la communion, elle ne s’était pas sentie à ce point sereine. Sans qu’elle puisse l’expliquer, il lui semblait être enfin en accord avec Dieu, avec elle-même, avec sa grossesse…

Rejetant draps et couvertures, elle posa les mains sur son ventre encore plat, au travers d’une épaisse chemise de nuit, le caressa comme s’il s’était agi de l’être qui se développait en elle.

— N’aie pas peur, mon petit, murmura-t-elle avec un sourire attendri. Maman est là pour te protéger. Maman ne permettra à personne de te faire du mal…